En parallèle aux recherches de terrain nécessaires à l’écriture du texte de Vertiges, la compagnie Nasser Djemaï a initié un travail de théâtre laboratoire au Théâtre Prémol au sein du quartier de la Villeneuve à Grenoble.
À l’occasion d’un temps de rencontre hebdomadaire initié à l’automne 2014, des hommes et des femmes, âgés de 18 à 55 ans, se réunissent sur le plateau. Ils sont invités par Nasser Djemaï - après une série d’exercices dramatiques ludiques visant à libérer l’énergie et l’imaginaire - à mener ensemble des improvisations dirigées autour des thématiques traversant le spectacle en devenir : la famille, la religion, le travail, la vie du quartier…
Pour la plupart « différents » (en fauteuil roulant, atteint d’autisme…) ou originaires d’ « ailleurs » (Antilles, Maghreb, Afrique Sub-Saharienne, Amérique Centrale et Amérique du Sud) ils font preuve d’un véritable engagement, d’une écoute, d’une concentration et d’un esprit de groupe à la hauteur du projet exigeant qu’ils ont peu à peu co-construit avec Nasser Djemaï et Ali Djilali (collaborateur artistique).
Ils se sont fixés pour but de produire ensemble un spectacle court autour des thèmes proposés par Nasser Djemaï dans la lignée des questionnements et des problématiques qu’il explore au cours du processus de création de Vertiges :
« Il existe des mondes parallèles, tout près de chez nous, comme des poches gorgées de particules encombrantes, sans cesse irriguées par un trop plein d’incompréhensions. Ces kystes urbains perçus aujourd’hui, comme des prisons à ciel ouvert, des ghettos. C’est là que mes parents vivent, c‘est là, entre autre, que j’ai grandi…
(…) l’arrivée dans ces cités a été vécue par toute la famille comme une véritable délivrance. Enfin on se sentait en sécurité, on était au chaud toute l’année, on pouvait faire les courses tous les jours, aller chez le médecin, le pharmacien. Pour les enfants un peu plus âgés on pouvait gagner un peu d’argent en travaillant au marché, aller à la piscine, à Carrefour, au cinéma, utiliser une cabine téléphonique, jouer au foot dans un vrai stade, boire un coca dans un bar et écouter de la bonne musique en jouant au babyfoot, au flipper, trouver facilement des pièces pour sa mobylette, s’habiller un peu à la mode tout ça, sans faire 10 km à chaque fois…
(…) Nous y avons vécu plusieurs années sans problèmes, avec même un sentiment de légèreté. Mais au fur et à mesure, le chômage a fini par gangréner ces quartiers et 27 ans plus tard, les choses ont terriblement changé. Tout ceux qui ont eu la possibilité de partir l’ont fait, peu à peu un glissement de population s’est opéré. Aujourd’hui il y a des familles très heureuses qui s’en sortent très bien, d’autres doivent se battre au quotidien pour survivre. Enfin certains ont fait le choix de se murer dans une quête identitaire et spirituel en se coupant du monde.
(…) Comment y renouer les fils de son identité? Echapper aux banalités et aux délires fantasmatiques – les siens et ceux de la société – sur ces quartiers aujourd’hui paupérisés qui, il y a cinquante ans, étaient encore des lieux d’espoir et d’avenir ? »
À partir de fragments des premières versions du texte de Vertiges (en cours d’écriture) proposés par la compagnie et de poèmes glanés par chacun d’entre eux, il s’agira de construire un objet artistique singulier et cohérent qu’ils pourront présenter à leurs familles et amis autant qu’à des personnes extérieures au quartier de la Villeneuve à l’occasion d’une restitution prévue en juin 2016.
Distribution : Medhi Alijev, Aziz Boutelja, Rany Boussaha, Djamel Brikh, Menea Marie Carmen, Liz Creppy- Genet- Tsakam, Dahmane Hazard, Sabrina Kirane, Brahim Koutari, Brahim Mesbah, William Sinaba, Hassan et Evrard